- Jimmy Jean
Vice-président, économiste en chef et stratège
Le château de cartes tarifaire de Trump commence déjà à s’écrouler
Après la rhétorique intransigeante et les annonces de tarifs douaniers généralisés du « jour de la libération », la faiblesse des cartes jouées par le gouvernement américain est en train d’être révélée. Alors que les dirigeants tentent maintenant d’adopter un ton plus conciliant, évoquant d’éventuels accords avec la Chine et d’autres partenaires commerciaux, leurs homologues réagissent avec une retenue marquée. La Chine n’a pas affiché beaucoup plus qu’une vague volonté d’entamer des discussions. Le commentaire du secrétaire au Trésor américain, M. Bessent, selon lequel la guerre commerciale entre la Chine et les États‑Unis était « intenable », est révélateur : il reflète une posture non pas de force, mais plutôt de gestion des dommages, l’administration étant de plus en plus nerveuse devant la volatilité des marchés financiers déclenchée par ses propres politiques. Regardons de plus près comment cette expérience de guerre commerciale des États‑Unis contre la Chine se retourne contre eux.
Premièrement, les conséquences les plus directes et visibles de ce conflit sur l’économie se manifesteront par le biais de l’inflation. La hausse des droits de douane sur les produits chinois érodera le revenu disponible réel et le pouvoir d’achat des ménages américains. La Chine représente la plus grande source de contenu étranger dans les dépenses de consommation personnelle aux États‑Unis, ce qui rend les consommateurs américains vulnérables, en particulier ceux à faible revenu. Selon les estimations de la Tax Foundation, qui tiennent compte des exemptions sur les produits électroniques accordées par le président Trump, le coût direct annuel de ces tarifs s’établira tout juste au-dessus de 1 200 $ US par ménage.
Les effets sur les biens de consommation durables devraient se faire sentir rapidement – les dirigeants de Walmart et de Target ont averti le président Trump qu’il y aurait des étagères vides d’ici quelques semaines –, mais les pressions inflationnistes s’étendent aussi aux intrants des entreprises, ce qui pourrait se refléter plus tard dans les prix à la consommation. Les coûts de la machinerie, des matériaux de construction et du matériel industriel devraient grimper, posant des risques pour les plans de dépenses en immobilisations et les marges des entreprises.
Tout cela s’ajoute à d’autres mesures de répression commerciale, telles que les droits de douane de 3 521 % annoncés cette semaine par les États‑Unis sur les panneaux solaires importés des pays d’Asie du Sud‑Est, considérés comme des centres de transbordement pour les producteurs chinois cherchant à contourner les restrictions commerciales. L’augmentation soudaine des coûts qui en résultera risque de retarder les projets d’énergie solaire et de saper l’élan d’investissement donné par l’Inflation Reduction Act. Ce secteur pourrait avoir moins de chance que celui de l’automobile, pour lequel l’administration a annoncé cette semaine un retrait des droits de douane sur les pièces importées de Chine.
Deuxièmement, les barrières tarifaires avec la Chine, au lieu de favoriser un retour de la production aux États‑Unis, risquent plutôt d’encourager les méthodes de contournement. C’est en partie pourquoi les tarifs douaniers sont l’un des rares dossiers sur lesquels les économistes de tous les horizons s’entendent. Lorsque les États‑Unis ont imposé des tarifs dans le passé, les exportations en provenance de pays servant d’intermédiaires pour les marchandises chinoises, comme le Vietnam et le Mexique, ont fortement augmenté. Les stratagèmes de fraude à la douane, de transbordement et de sous-facturation sont devenus assez courants pour que les autorités douanières des États‑Unis soient forcées d’intensifier leurs contrôles.
Le risque plus large est que les entreprises commencent à affecter des ressources non pas en fonction de la productivité, mais en fonction de stratégies d’évitement tarifaire. Il en résulterait une hausse des coûts, une fragmentation des chaînes d’approvisionnement et une allocation inefficace des ressources qui nuiraient à la productivité à long terme. Cette situation ouvre également la porte à des pratiques commerciales illicites et mine la confiance dans les règles commerciales – surtout lorsque ces règles sont appliquées de façon quasi arbitraire, comme on l’a vu avec les annonces du 2 avril. Cela représente un fardeau de conformité croissant pour les entreprises et les organismes de réglementation, qui ne fait qu’aggraver les inefficiences tout en produisant peu d’avantages.
Troisièmement, les tarifs douaniers chinois et américains pourraient entraîner une nouvelle vague de perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. En effet, la Chine n’est pas seulement un important exportateur de produits finis, mais aussi un fournisseur essentiel d’intrants intermédiaires et de matières premières. Les membranes de toiture, dont la production est concentrée dans un petit nombre d’usines chinoises, sont un bon exemple. Les confinements ayant touché ces usines lors de la pandémie ont entraîné des retards importants et des dépassements de coûts dans les projets de construction. Dans le contexte de quasi-embargo apparent sur les importations chinoises, de nombreux autres points de tension de ce type pourraient apparaître.
Les produits pharmaceutiques sont aussi un sujet de préoccupation : la Chine fournit environ 40 % des ingrédients pharmaceutiques actifs utilisés aux États‑Unis. Parmi les autres vulnérabilités figurent les batteries de véhicules électriques, les terres rares importantes pour la défense – dont la Chine contrôle environ 70 % de la production mondiale – et les composants de précision dans l’industrie manufacturière de pointe. Ces dépendances sont difficiles à défaire à court terme et pourraient entraîner des goulots d’étranglement importants dans la production.
Quatrièmement, la Chine dispose d’un important levier économique qu’elle déploie activement en représailles. Lors de précédents conflits commerciaux, le gouvernement chinois a ciblé des exportations américaines politiquement sensibles, telles que le soja et le porc, touchant ainsi des États agricoles où les difficultés économiques se traduisent rapidement par des pressions politiques. Cette fois-ci, la réponse est plus stratégique et plus large, et inclut une suspension des livraisons de jets Boeing et une réduction marquée des importations de pétrole brut et de gaz naturel liquéfié en provenance des États‑Unis.
D’autres mesures non tarifaires – retards dans l’octroi de licences d’exportation, enquêtes de cybersécurité, boycottages de consommateurs – peuvent également nuire tout autant que les droits de douane. Pour les multinationales américaines fortement liées au marché chinois, que ce soit par leurs revenus ou leur chaîne d’approvisionnement, le coût de ces représailles (et celles d’autres partenaires) s’accumulera rapidement. Selon la US International Trade Administration, les exportations ont soutenu plus de 10 000 000 d’emplois américains en 2022, dont la moitié dans le secteur manufacturier. Ce qu’il faut retenir, c’est que la guerre commerciale déclenchée par les États‑Unis sape la relance industrielle que l’administration Trump est si impatiente de réaliser.
Cinquièmement, si le conflit entre les États‑Unis et la Chine est bilatéral, ses conséquences économiques, elles, sont mondiales. Selon les premières estimations, l’incidence potentielle sur le PIB mondial pourrait être de l’ordre de 1 500 G$ US à 2 000 G$ US. Les produits de base reflètent déjà ce stress, des baromètres habituels comme le pétrole et le cuivre étant sous tension ce mois-ci. Mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est l’atteinte portée à la réputation des États‑Unis en tant que refuge. Les taux obligataires ont grimpé pendant que le dollar américain subissait des pressions à la baisse – une combinaison plus fréquemment associée à des pays aux prises avec des problèmes de balance des paiements.
Bien que la Chine se soit jusqu’à présent abstenue d’utiliser directement sa position de deuxième détenteur étranger de titres du Trésor américain, la simple possibilité qu’elle puisse déplacer ses réserves place les investisseurs sur le qui-vive. Une telle décision, aussi subtile soit-elle, pourrait ébranler les fondements mêmes du système financier mondial, où les bons du Trésor constituent l’actif sans risque de référence.
Cela dit, le gouvernement chinois n’envisagera probablement cette option qu’en dernier recours. Il a tout intérêt à éviter les actions qui nuiraient à ses propres avoirs ou entraîneraient une contagion financière imprévue. Pour l’instant, il pourrait préférer des interventions plus ciblées et moins néfastes sur le plan intérieur, tout en laissant les dommages économiques des tarifs effectuer le travail.
Tout cela place cependant la Réserve fédérale (Fed) dans une situation extrêmement précaire. Déjà prise en étau entre un choc inflationniste de l’offre et un affaiblissement de la croissance, elle pourrait se voir contrainte de réagir à la volatilité du marché des bons du Trésor sans avoir l’air de compromettre son indépendance, et sans créer un aléa moral en donnant à l’administration le sentiment qu’elle peut compter sur la Fed pour corriger ses erreurs. En soi, la recherche de cet équilibre est déjà éprouvante. Mais la Fed doit en plus jongler avec la pression supplémentaire d’un président qui, en campagne électorale, a ouvertement affirmé que la Maison‑Blanche devrait avoir son mot à dire dans les décisions de politique monétaire, et qui semble maintenant chercher les moyens de faire de cette idée une réalité.
Parlant de campagne électorale, nous vous présenterons mardi prochain notre analyse du résultat de l’élection de lundi, et nous publierons un aperçu plus complet de notre analyse prébudgétaire le mois prochain. Après une période dysfonctionnelle sans parlement actif et ayant vu défiler trois ministres des Finances en quatre mois, une certaine stabilité sera la bienvenue. L’attention va maintenant se tourner vers le budget, très attendu – et qui, contrairement aux plateformes chiffrées publiées cette semaine, devra intégrer des hypothèses économiques plus prudentes.
Nos dernières prévisions Lien externe au site., publiées ce matin, se situent pile entre les deux scénarios de la Banque du Canada présentés la semaine dernière. Bien que l’incidence directe des tarifs douaniers sur le Canada soit moindre qu’appréhendé il y a un mois, nous nous attendons à ce que l’économie canadienne soit freinée par la détérioration générale en cours au sud de la frontière. Lorsque le château de cartes du voisin s’effondre, la poussière ne retombe pas que dans sa cour.
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