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Analyses des devises

Analyse des devises : un plan tarifaire qui change la donne

21 février 2025
Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège • Mirza Shaheryar Baig, stratège en devises étrangères

Résumé

  • Le plan de tarifs réciproques du président Trump neutralise un catalyseur immédiat de la force du dollar américain. Les positions longues record en dollars américains pourraient devoir être liquidées, ce qui pèserait sur la devise à court terme. 
  • Notre modèle factoriel pour l’USD-CAD continue d’établir une juste valeur à court terme d’environ 1,42. La liquidation des positions longues en dollars américains pourrait faire tomber la valeur marchande sous la juste valeur au cours des prochaines semaines. On prévoit toutefois que la paire atteindra environ 1,48 plus tard dans l’année.
  • Les pourparlers de paix en Ukraine ont amélioré l’humeur des investisseurs à l’égard de la zone euro et fait baisser les prix du gaz dans l’Union européenne (UE). La possibilité d’un renforcement de l’euro à l’horizon nous semble tout de même limitée. 
  • La banque centrale chinoise semble déterminée à ne pas dévaluer le renminbi pour compenser une hausse des tarifs douaniers. Il s’agit d’un signal fort indiquant que la dévaluation effectuée en représailles en 2018-2019 ne se répétera pas.
  • L’écart de taux entre les États-Unis et le Japon devrait se réduire davantage. Nous nous attendons à ce que les investisseurs institutionnels japonais augmentent leurs ratios de couverture pour le risque de change, ce qui poussera le yen à la hausse. Le pic de faiblesse de la devise nipponne est derrière nous.
  • La livre sterling risque d’être tributaire des manchettes fiscales d’ici le budget du printemps. La rencontre planifiée entre le président Trump et le premier ministre Starmer devrait être surveillée de près.

Aperçu : la clarté quant aux tarifs douaniers américain pèse sur le dollar américain

Le président Trump a clarifié son approche concernant les tarifs à l’importation en suggérant que celle-ci pourrait varier selon les pays (notamment au moyen de tarifs réciproques), plutôt que de strictement s’en tenir à des tarifs universels.

Trois raisons expliquent pourquoi ce plan a refroidi l’élan du dollar américain.

  • D’abord, plusieurs mois pourraient s’écouler d’ici la mise en application de tarifs réciproques. Ces mesures n’entreront pas en vigueur avant la présentation des conclusions du secrétaire au Commerce au président, d’ici le 1ᵉʳ avril. Il pourrait ensuite y avoir une période de « commentaires du public » s’étalant sur plusieurs mois. 
  • Les droits de douane varieront en fonction des pays, selon la perception qu’ont les États-Unis de leurs comportements « répréhensibles ». Cela pourrait toucher certains pays et certaines monnaies plus que d’autres, mais aura moins d’effet sur l’indice du dollar américain élargi.
  • La manipulation de la devise est un élément clé du processus de détermination des tarifs – une manière d’indiquer aux autres pays que le fait de dévaluer leur monnaie pour compenser les barrières tarifaires pourrait faire grimper celles-ci encore plus. 

Le point à retenir, c’est que le monde dispose maintenant d’un délai pour atténuer les répercussions des tarifs. Cela pourrait se traduire par des résultats moins dommageables que ceux qu’ont eus les annonces perturbatrices et erratiques qui, jusqu’à récemment, étaient lancées sur Truth Social la fin de semaine.

Les entreprises peuvent maintenant planifier leurs stratégies d’approvisionnement et prendre des décisions réfléchies qui, autrement, auraient dû être précipitées. Les gouvernements étrangers ont le temps de faire pression sur l’administration Trump pour obtenir des modifications aux politiques qui leur soient plus favorables. Par exemple, le gouvernement indien a accepté Lien externe au site. de réduire les tarifs douaniers et d’acheter plus de gaz naturel liquéfié américain pour obtenir un meilleur accord commercial. La Commission européenne semble envisager des concessions similaires (voir ci-dessous), et le premier ministre japonais a proposé d’investir davantage dans l’économie américaine.

Cela dit, les barrières tarifaires vont continuer de faire les manchettes. En plus du système de tarifs réciproques, le président Trump a annoncé une deuxième ronde de droits de douane visant les voitures, les produits pharmaceutiques et les semi-conducteurs. Ces droits, comme ceux de 25 % sur l’acier et l’aluminium qui entreront en vigueur le 12 mars, visent certains secteurs spécifiques et auront donc un effet limité sur les marchés de change. 

Les positions courtes en dollars canadiens reculent

Les investisseurs institutionnels en devises ont été majoritairement courts sur le dollar canadien ces derniers mois, au moment où le président Trump appliquait sa rhétorique agressive de « force économique » contre le Canada.

Le sentiment du marché a commencé à changer lorsque Trump a annoncé une suspension de 30 jours des tarifs de 25 % sur les importations non énergétiques en provenance du Canada. Cette situation a évolué en une véritable liquidation des positions courtes lorsqu’il a ensuite présenté son plan de tarifs réciproques, lequel, comme nous l’avons déjà mentionné, a neutralisé le catalyseur haussier immédiat pour le dollar américain.  


Notre modèle factoriel pour l’USD-CAD, qui incorpore la politique monétaire, les prix des matières premières et l’appétit à l’égard du risque, mais exclut les tarifs douaniers, prévoit une juste valeur à court terme autour de 1,42, inchangée par rapport à notre dernière mise à jour (voir graphique 3). Jusqu’à cette semaine, la valeur marchande de la paire dépassait la juste valeur en raison des craintes concernant les tarifs douaniers. Nous ne serions pas surpris de voir des valeurs marchandes inférieures à la juste valeur au cours des prochaines semaines, alors que les positions longues spéculatives en dollars américains seront dénouées.

Cependant, nos prévisions sur un horizon plus long restent ancrées à 1,48, ce qui devrait être atteint d’ici le milieu de l’année. Ces prévisions s’appuient sur notre point de vue selon lequel l’économie américaine demeurera robuste, tandis que la Banque du Canada pourrait devoir offrir plus d’assouplissement que le creux d’environ 2,5 % escompté par le marché pour le taux des fonds à un jour. Si la menace de tarifs de 25 % s’est estompée dans l’immédiat, les tarifs vont bel et bien augmenter, et notre équipe d’économistes s’attend à ce qu’ils soient appliqués au Canada dès le deuxième trimestre.  Les prévisions consensuelles pour l’USD-CAD ont récemment augmenté, et notre prévision de 1,48 se situe dans la fourchette supérieure du spectre.

Où pourrions-nous nous tromper? Nous voyons deux scénarios où le dollar canadien pourrait faire mieux que nos prévisions.

Tout d’abord, après les élections fédérales, le nouveau premier ministre canadien pourrait obtenir un nouvel accord avec le président Trump. Ce dernier a montré une certaine ouverture à apaiser les tensions lors des dernières rencontres avec les premiers ministres japonais et indien, à condition que l’autre partie fasse preuve de bonne volonté et accepte des concessions. L’Inde a réduit ses tarifs douaniers et le Japon a offert d’accroître ses investissements aux États-Unis. Le Canada pourrait proposer plus d’achats en défense pour renforcer son rôle de surveillance dans l’Arctique. Convaincre l’administration américaine de devancer la renégociation de l’ACEUM pourrait aussi donner un signal aux marchés quant à la durée d’un régime de tarifs effectifs élevés sur le Canada.

Ensuite, l’économie américaine pourrait ralentir. L’incertitude commerciale et le resserrement des mesures d’immigration pourraient se répercuter dans les données sur l’emploi. Les coupes du DOGE dans les dépenses et la main-d’œuvre du gouvernement fédéral ajoutent à l’incertitude. Si remédier au gaspillage pourrait améliorer l’efficacité à long terme, réduire rapidement les dépenses risque de ralentir la croissance à court terme et de nuire au dollar américain. Fait notable, le quart des nouveaux emplois créés aux États-Unis ces six derniers mois l’ont été au sein du gouvernement. Selon les médias, environ 200 000 employés fédéraux encore en période d’essai ont été congédiés, ce qui pourrait se refléter dans le rapport sur les emplois non agricoles de mars attendu au début d’avril. 


EUR – Le dividende de la paix

L’EUR-USD a chuté à un creux de 1,014 au début février en raison du bruit lié aux tarifs douaniers, mais il a rebondi à 1,05, près de notre estimation de sa juste valeur à court terme (voir graphique 4). Ce regain a été alimenté par les ventes importantes de dollars américains, par le soulagement ayant accompagné le report des mesures tarifaires et par l’optimisme grandissant à l’égard d’un accord de paix en Ukraine.


Les marchés de paris estiment maintenant les probabilités d’un cessez-le-feu en Ukraine cette année à 70 %. Si une entente est conclue, les flux de gaz de la Russie vers l’Europe devraient augmenter, ce qui causera une chute marquée des contrats à terme sur le gaz naturel TZT ce mois-ci. L’humeur des investisseurs s’est améliorée, ce qui s’est reflété dans la solide performance des actions européennes au cours des deux dernières semaines.

Si le report des droits de douane américains et les perspectives d’un cessez-le-feu en Ukraine sont encourageants pour le marché, nous restons prudents quant aux perspectives de la zone euro. L’administration Trump risque d’inciter les gouvernements européens à dépenser encore davantage en défense et à financer la reconstruction de l’Ukraine, et elle imposera éventuellement des tarifs douaniers. Cela limitera la marge de manœuvre budgétaire pour des dépenses de stimulation de l’économie. Pendant ce temps, la Banque centrale européenne (BCE) n’a pas contredit le marché, qui escompte trois nouvelles baisses de taux cette année.

Nous restons d’avis que l’EUR-USD reviendra à la parité au cours de l’année. Nos prévisions tiennent compte de l’imposition de tarifs réciproques par les États-Unis à la zone euro, bien que leur ampleur soit incertaine en raison des critères Lien externe au site. très généraux que l’administration Trump a établis. De plus, nous supposons que la BCE abaissera les taux d’intérêt à 2 %, et la Fed, à environ 4 %, ce qui laissera un écart substantiel.

Notre point de vue est assorti de risques.

Tout d’abord, les élections fédérales du 23 février en Allemagne pourraient permettre une correction nécessaire de la trajectoire de la politique économique.  Si Friedrich Merz, le chef de la CDU, a de fortes chances de devenir le prochain chancelier, sa capacité à mettre en œuvre des réformes essentielles dépendra de la force de la coalition qu’il formera. 

Ensuite, le fardeau tarifaire final pourrait être moindre que prévu. Au cours des prochains mois, les dirigeants européens pourraient négocier en coulisses pour répondre aux préoccupations des États-Unis. Par exemple, les nouvelles récentes selon lesquelles l’UE proposera de réduire les droits de douane Lien externe au site. sur les importations de voitures américaines et d’assouplir Lien externe au site. les règles fiscales pour stimuler les dépenses en défense sont des signes encourageants. 


Yuan chinois – Un engagement ferme

Le président Trump a augmenté de 10 % les tarifs sur l’ensemble des importations chinoises, faisant passer le taux effectif des tarifs de 20,4 % à 30,4 %, selon nos calculs. En réponse, les autorités chinoises ont mis en œuvre des mesures ciblées, notamment des droits de douane sur certaines exportations américaines et des restrictions sur les exportations de terres rares vers les États-Unis, mais ont choisi de ne pas dévaluer le renminbi.

La plupart des analystes s’attendaient à ce que la Banque populaire de Chine (BPC) contrebalance la hausse des tarifs douaniers par une dévaluation proportionnelle de la devise, comme lors de la guerre tarifaire de 2018-2019. Cependant, la BPC a maintenu une fixation quotidienne stable pour l’USD-CNY et a accru ses interventions sur le marché pour maintenir le taux de change autour de 7,30. Dans son rapport sur la politique monétaire du quatrième trimestre publié le 13 février, la BPC a réitéré ses « trois engagements fermes » pour défendre la monnaie : contrer les comportements grégaires, prévenir le risque de voir la valeur marchande excéder la juste valeur et éviter les manipulations de marché. Cela porte à croire que la banque centrale vise à maintenir le prix au comptant de l’USD-CNY à un niveau stable à court terme.

Deux raisons peuvent expliquer cela. D’abord, les autorités chinoises s’attendent peut-être à ce qu’une dévaluation de la devise entraîne une nouvelle hausse des tarifs douaniers de la part du président Trump. Deuxièmement, la part des exportations de la Chine vers les États-Unis a diminué à seulement 15 %, ce qui rend le coup porté au PIB plus gérable que par le passé.

Étant donné les signaux en provenance de la BPC, nous avons modéré nos prévisions d’un taux plus élevé pour l’USD-CNY, faisant passer notre prévision pour la fin d’année de 7,65 à 7,40.  


Yen– Ne soyez pas si négatif

Depuis qu’elle a relevé ses taux de 25 points de base lors de sa réunion du 23 janvier, la Banque du Japon a fait évoluer son message de deux manières importantes. Elle a d’abord atténué l’importance de son estimation de l’écart de production, qui demeure légèrement négatif (-0,5 % du PIB). Ensuite, elle a précisé que le risque de retour à la déflation est faible.

En effet, plusieurs membres du comité de politique monétaire, dont M. Himino Lien externe au site. et M. Tamura Lien externe au site., estiment désormais que les risques d’une action trop lente dans le retrait des mesures d’assouplissement l’emportent sur ceux d’une action trop rapide. Cette situation contraste nettement avec l’attitude prudente de la Banque du Japon en 2024, lorsqu’elle a largement ignoré l’augmentation subite des prix des importations en raison de la faiblesse du yen japonais.

Les marchés ont pris note de ces remarques et anticipent maintenant une normalisation plus rapide de la politique monétaire. Le swap à terme 1 an dans 1 an escompte un taux final à 1 %, soit 20 points de base de plus qu’au début de l’année. Cela cadre avec notre prévision de deux autres hausses de 25 points de base cette année (juin et décembre), mais nous pensons que le risque est que la Banque du Japon porte son taux directeur entre 1,0 % et 1,5 % au cours de l’exercice 2026.

Qu’est-ce que cela signifie pour la devise nipponne? Les taux réels négatifs ont contribué à la faiblesse du yen, notamment avec l’élargissement de l’écart de taux entre les États-Unis et le Japon depuis 2022. Maintenant que l’écart se rétrécit, l’USD-JPY demeure trop élevé par rapport aux écarts de taux (voir graphique 6).


L’une des raisons de cette déconnexion est l’accumulation des opérations de carry trade sur le yen, les investisseurs institutionnels japonais achetant des actifs en dollars américains et abaissant leurs ratios de couverture du risque de change. Selon nos calculs, les compagnies d’assurance vie détiennent pour environ 460 G$ US d’actifs étrangers (10 % du total des actifs étrangers au Japon), et elles ont réduit leur ratio de couverture à une moyenne de 45 %, le plus bas taux en 12 ans (graphique 7).

En résumé, comme la Banque du Japon adopte un ton plus belliciste, et avec la surabondance de positions sous-couvertes, les conditions sont en place pour que le yen prenne de la vigueur. Nous voyons maintenant la paire USD-JPY tomber à 140 cette année et à 130 l’an prochain.

 


Livre sterling – En attente du printemps

La livre sterling reste inversement corrélée avec les rendements des obligations souveraines britanniques (gilts), car le marché continue de concentrer son attention sur les finances publiques. 

L’Office for Budget Responsibility (OBR) a revu à la baisse ses prévisions de croissance économique, ce qui élimine de facto la marge de manœuvre de 10 G£ que la chancelière de l’Échiquier Reeves avait prévue dans le budget de l’an dernier. Il est donc probable que le gouvernement doive réduire ses dépenses, emprunter davantage ou augmenter les impôts pour respecter ses règles fiscales. Les prévisions finales seront présentées le 26 mars. Équilibrer le programme de croissance avec les préoccupations des marchés obligataires à l’égard de la viabilité budgétaire sera difficile.

Les déficits, de pair avec l’augmentation des rendements des gilts, ont mis de la pression sur la livre, ce qui reflète les préoccupations du marché concernant la stabilité budgétaire et les flux d’investissement. Les investisseurs se méfient des dépenses et des emprunts du gouvernement, ainsi que du risque d’une baisse de cadence forcée des dépenses, entraînant la dépréciation de la devise. À l’approche du budget du printemps, les manchettes fiscales continueront probablement d’influencer la livre. La façon dont le gouvernement gère les dépenses et les emprunts sera cruciale pour régler ces problèmes.

Autre risque pour la livre : la Banque d’Angleterre laisse entrevoir plus de baisses de taux que ce à quoi s’attendait le marché. Tout comme nous, celui-ci anticipe environ deux baisses cette année. Cependant, la réunion du comité de politique monétaire du 6 février a envoyé un signal plus accommodant avec deux de ses membres ayant voté en faveur d’une réduction de 50 points de base.

Il y a deux risques à la hausse pour la livre sterling. 

D’abord, les actifs risqués se sont récemment redressés, la probabilité d’une hausse imminente des tarifs s’étant dissipée. La livre est une devise à rendement élevé parmi celles des pays du G7, et elle tend à profiter des flux entrants de carry trade pendant les périodes de risque.

Deuxièmement, le président Trump aurait invité le premier ministre Starmer à une rencontre téléphonique impromptue. Si l’on se fie à ce qui s’est produit lors des récentes rencontres avec les dirigeants japonais et indiens, les marchés devraient suivre cette réunion de près. 

Tableau des prévisions 


NOTE AUX LECTEURS : Pour respecter l’usage recommandé par l’Office québécois de la langue française, nous employons dans les textes, les graphiques et les tableaux les symboles k, M et G pour désigner respectivement les milliers, les millions et les milliards. MISE EN GARDE : Ce document s’appuie sur des informations publiques, obtenues de sources jugées fiables. Le Mouvement Desjardins ne garantit d’aucune manière que ces informations sont exactes ou complètes. Ce document est communiqué à titre informatif uniquement et ne constitue pas une offre ou une sollicitation d’achat ou de vente. En aucun cas, il ne peut être considéré comme un engagement du Mouvement Desjardins et celui-ci n’est pas responsable des conséquences d’une quelconque décision prise à partir des renseignements contenus dans le présent document. Les prix et les taux présentés sont indicatifs seulement parce qu’ils peuvent varier en tout temps, en fonction des conditions de marché. Les rendements passés ne garantissent pas les performances futures, et les Études économiques du Mouvement Desjardins n’assument aucune prestation de conseil en matière d’investissement. Les opinions et les prévisions figurant dans le document sont, sauf indication contraire, celles des auteurs et ne représentent pas la position officielle du Mouvement Desjardins.