Prévisions économiques : 10 questions à Jimmy Jean et Emna Braham
L’état de l’économie canadienne, les impacts des élections américaines, les prochaines baisses des taux d’intérêt, l’inflation, le marché du travail et la montée du chômage chez les jeunes… les sujets de préoccupation se multiplient pour les ménages et les entreprises.
Vous avez été nombreux à assister à la conférence web de Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège, et d’Emna Braham, présidente-directrice générale de l’Institut du Québec qui ont présenté les plus récentes prévisions économiques et financières. Plusieurs internautes en ont profité pour poser des questions lors de la conférence.
Voici les réponses à 10 questions qui ont été le plus souvent posées lors de cette présentation et le lien pour la réécoute de la web conférence
1. Quels sont les principaux risques associés aux guerres en Ukraine et au Moyen-Orient ?
Le principal risque reste celui d’un embrasement au Moyen-Orient. Ce risque a gagné en probabilité ces dernières semaines. Une confrontation directe entre Israël et l’Iran aurait des effets sur les marchés financiers, notamment en augmentant les primes de risque sur le pétrole étant donné la menace sur les approvisionnements. Le fait que les indices boursiers évoluent à des niveaux records indique que les marchés sont possiblement complaisants face aux risques dans la région jusqu’à présent. Les actifs risqués sont donc vulnérables à de la volatilité en cas d’action militaire majeure. Une flambée des prix des matières premières entraînerait l’inflation à la hausse, mais il s’agirait d’un effet momentané, qui n’inciterait pas nécessairement les banques centrales à réagir. Celles-ci demeureraient conscientes de l’incertitude et des perturbations aux chaînes de production, qui pourraient avoir un effet néfaste sur l’économie.
2. Avec les nombreuses mesures pour stimuler la construction résidentielle, peut-on espérer que les prix des maisons redeviennent abordables ?
Les gouvernements ont entrepris beaucoup de mesures, dont certaines faisaient partie des recommandations que nous avions formulées, autant pour le Canada dans son ensemble que pour le Québec. Cela dit, avec toute leur bonne volonté, nos travaux démontrent que les contraintes de main-d’œuvre en construction demeureront un défi important.
En outre, ces analyses démontrent que dans un scénario optimiste, la mise en chantier atteindrait tout au plus légèrement au-dessus de 300 000 unités annuellement, avec des hausses de coûts de main-d’œuvre importants étant donné le bassin limité. La régulation de la croissance démographique s’avère ainsi essentielle, et il faut agir sur d’autres obstacles qui restreignent l’offre, notamment le financement des infrastructures liées au développement immobilier. L’industrie de la construction doit aussi accroître sa productivité, qui est à la traîne de la moyenne des secteurs.
3. Est-ce qu’une éventuelle élection fédérale au Canada pourrait causer autant d’incertitudes que celle aux États-Unis ?
On ne retrouve pas un populisme économique aussi extrême chez les chefs de partis au Canada qu’on le retrouve dans d’autres pays. Toutefois, force est d’admettre qu’on en sait peu sur la vision économique de certains des candidats pour l’instant. Il y a toutefois un point en commun : peu semblent se préoccuper de l’état des finances publiques. Nos analyses pour le Canada (et les provinces) ont toutefois démontré que le ressac à venir de la croissance démographique appliquera des pressions à la hausse sur le déficit. Si l’on ajoute à cela l’engagement à atteindre la cible de dépenses militaires de 2 % du PIB fixée par l’OTAN d’ici 2032, certains points d’ancrage budgétaires risquent de ne pas tenir au fédéral. Toute promesse dispendieuse risque donc de compromettre la crédibilité budgétaire du Canada, avec les risques que cela comporte pour la note de crédit AAA.
4. Pourquoi les taux hypothécaires ne descendent pas plus vite, compte tenu des baisses répétées du taux directeur ?
Les baisses du taux directeur de la Banque du Canada sont largement anticipées et se reflètent déjà sur les taux hypothécaires fixes. Il faudrait donc que les marchés anticipent des baisses plus agressives des taux directeurs pour voir davantage de diminution des taux fixes. Cela correspondrait toutefois à un scénario pessimiste pour la croissance économique. Comme nous l’avons expliqué dans une analyse, ce sont les taux variables qui sont le plus directement influencés par les taux de la Banque du Canada. Ceux-ci sont encore élevés, mais rappelons que les 75 points de baisses de taux jusqu’ici ne sont qu’un renversement partiel des 475 points de base d’augmentation en 2022 et 2023. Ils devraient diminuer davantage et même passer en dessous des taux fixes de cinq ans d’ici environ un an. Il faut toutefois avoir des attentes réalistes, en gardant à l’esprit que nos prévisions tablent sur une stabilisation des taux d’intérêt à des niveaux plus élevés que ce à quoi nous avons été habitués avant la pandémie.
5. Quelle sera l’évolution du dollar canadien vs américain ?
Le dollar canadien est fortement influencé par la tendance de l’indice du dollar américain. Le fait que la Réserve fédérale se montre résolue à éviter un ralentissement trop brusque de l’économie est défavorable au dollar américain, et par implication favorable au dollar canadien. Même si nous prévoyons une poursuite de l’appréciation du dollar canadien d’ici la fin de 2025, celle-ci devrait être très graduelle. Sur les prochains mois, le huard devrait fluctuer près de ses niveaux récents.
6. Quels sont les facteurs qui contribuent le plus significativement à la limitation actuelle de l’offre de logement ? L’industrie de la construction semble ne pas pouvoir accroître sa productivité malgré les innovations.
En lien avec la réponse à la question 2, les limites sont nombreuses et multiples, et il est difficile d’en pointer davantage un du doigt. Que ce soit le coût et la disponibilité de la main-d’œuvre et des matériaux, les délais de délivrance des permis, les frais de développement, les oppositions citoyennes à des initiatives de densification ou le manque de pénétration technologique dans le secteur de la construction, tous ces facteurs sont en cause. Nous avons d’ailleurs traité des enjeux de productivité dans la construction dans une étude publiée en janvier. Le logement préfabriqué et modulaire est une avenue porteuse pour livrer des projets plus rapidement et à moindre coût. Le gouvernement fédéral a annoncé plus tôt cette année un fonds d’innovation visant à stimuler ce type de construction. Toutefois certains détails sur la provenance des investissements restent flous.
7. Considérant le taux de retraite à la hausse dans les prochaines années, comment les employeurs pourront poursuivent leur activité/croissance s’ils embauchent moins ?
L’un des défis sera d’augmenter la productivité des organisations tant publiques que privées afin de créer de la richesse avec autant, sinon moins de ressources. Cela passe notamment par le positionnement dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée et la transformation des modèles d’affaires. Au niveau des organisations, cela se traduira par l’automatisation, l’intégration des nouvelles technologies, mais aussi des changements dans l’organisation du travail. Le développement des compétences et une formation continue renforcée seront également essentiels pour relever ce défi. On peut aussi penser à l’utilisation de l’intelligence artificielle pour les services à la clientèle, ou encore l’adoption de robots dans les entrepôts.
8. Est-ce que l’augmentation rapide du salaire minimum des dernières années au Québec a eu un impact sur l’inflation ?
Les salaires ont augmenté rapidement au sortir de la pandémie, ce qui n’est pas sans impact sur l’inflation. Cependant, cette hausse est davantage le résultat de la compétition pour attirer et retenir les travailleurs que de la seule hausse du salaire minimum. Depuis 2017, le gouvernement du Québec a adopté une politique visant à rapprocher le salaire minimum de 50 % du salaire médian accélérant ainsi sa hausse. Des études antérieures ont suggéré qu’une hausse du salaire minimum peut avoir un effet modeste à la hausse sur l’inflation.
9. Malgré les milliers de postes disponibles, de nombreuses personnes éprouvent de la difficulté à trouver un emploi. Qu’en est-il ?
Actuellement, nous ne sommes pas en situation de plein emploi. Le nombre de postes vacants est à son plus bas niveau depuis début 2019, et le taux de chômage est de 5,7 % au Québec. Ce phénomène touche particulièrement les premiers chercheurs d’emploi, notamment les jeunes et les immigrants, surtout dans la région de Montréal. Ceci étant dit, il y aura toujours des personnes qui éprouvent des difficultés à trouver un emploi correspondant à leurs compétences, leurs aspirations ou leur situation géographique. Les emplois disponibles ne correspondent pas toujours aux qualifications détenues ou aux attentes des chercheurs d’emploi, créant ainsi un décalage entre l’offre et la demande sur le marché du travail.
10. Il y a plus de personnes qui sortent du marché du travail (retraités) que celles qui entrent sur le marché du travail (Population active). Avec les mesures de réduction de l’immigration actuelle et future, pensez-vous que le Canada et le Québec sont prêts à faire face à une potentielle pénurie de main-d’œuvre à venir lorsque la croissance économique repartira ?
En effet, une relance économique pourrait raviver les difficultés de recrutement qui se sont atténuées ces derniers mois. C’est d’ailleurs pour cette raison que les prévisions de chômage demeurent relativement basses, même en cas de récession.